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mercredi 31 août 2011, par Christine Deslandes
En regardant en arrière, à la lumière de mes 40 ans passés dans les marchés financiers, je ne peux m’empêcher de me sentir parfois un peu abasourdi par les noms des compagnies maintenant cotées à la Bourse. Plusieurs des grands noms de l’époque, soit 30, 40 ou 50 années plus tôt, ne sont plus qu’un vague souvenir ; des compagnies qui semblaient être des chefs de file du marché, d’impénétrables forteresses ont depuis longtemps été avalées par des concurrents plus habiles ou des braqueurs de sociétés qui les ont découpées en petits morceaux. Regardez ce qui s’est produit (et est encore en marche) avec l’industrie de l’automobile, où il y a de fortes chances que, dans 5 ans d’ici, une nouvelle vague de consolidation ait complètement transformé le paysage, une fois de plus.
Et presque tout le monde connaît le célèbre duopole dans l’aéronautique. Rappelez-vous le battage médiatique lorsque Bombardier a lancé la C-Series, et les échanges subséquents d’opinions afin de déterminer si Airbus et Boeing laisseraient Bombardier se positionner dans cette niche du marché ? (oui, les carnets de commandes d’Airbus et de Boeing sont pleins à craquer …. et non, un renard ne sera jamais invité dans un poulailler).
Cela me ramène à mon édition du World Traffic Booklets de 1957, répertoriant les avions commerciaux. Je me suis amusé à compter le nombre de grands avionneurs. Cinquante et un (51) à cette époque ; la Grande-Bretagne n’avait pas moins de 14 fabricants d’avions commerciaux ; les Etats-Unis en avaient 7 ; la France en comptait 6 ; et la Suède, l’Espagne et les Pays-Bas étaient aussi représentés. L’Europe de l’Ouest avait 23 constructeurs aéronautiques — aujourd’hui, elle en a un seul. Sur les sept avionneurs américains, certains se sont retirés, certains ont été délogés, et, ironiquement, celui qui avait les modèles les moins attrayants dans les années 40 et au début des années 50, Boeing, a avalé les autres. Un appareil, le Boeing 707, a transformé la face de l’industrie, non seulement aux Etats-Unis mais aussi à travers le monde. Pendant que les dirigeants de Douglas sirotaient tranquillement leurs Martinis à l’heure du lunch, avec le sentiment réconfortant que leurs modèles DC-6 et DC-7 domineraient les marchés mondiaux pour toujours, la technologie se développait et provoquait l’effondrement subit de leur marché. En quelques années, l’entreprise s’est retrouvée au bord de la faillite, et elle n’a jamais pu être redressée.
Et la même chose s’est produite avec les 23 avionneurs européens, qui avaient largement tablé sur le savoir-faire et la technologie de la Seconde Guerre mondiale. À un certain moment, les compagnies de la Grande-Bretagne ont même été consolidées pour donner naissance à British Aircraft, qui n’est plus aujourd’hui qu’un simple fournisseur d’Airbus. Les Français ont bénéficié d’un succès temporaire avec l’élégant Caravelle, et ont entrepris, avec les Britanniques, un projet ambitieux et financièrement dévastateur : construire le Concorde. Les fabricants d’avions commerciaux Saab, en Suède, CASA, en Espagne, et Fokker, aux Pays-Bas, n’ont jamais été capables de se tailler une part de marché soutenable.
La morale de l’histoire est qu’il ne faut jamais tomber en amour avec un titre. Il faut constamment évaluer si une compagnie peut non seulement maintenir la cadence malgré la compétition, mais aussi gagner un avantage lui permettant de devancer ses compétiteurs. Être le chef de file du marché ne garantit aucunement la survie ou une performance financière intéressante. Alors que GM devançait encore Toyota, la capitalisation boursière de Toyota était près de vingt fois celle de GM. Le comportement des dirigeants de Douglas est un vibrant exemple de ce qui peut se produire lorsqu’on reste assis sur ses lauriers. Et la dépendance des Big Three envers les énormes véhicules dévoreurs d’essence était presque assurée de se solder par un désastre. En Europe, GM et Ford sont pourtant des chefs de file dans le domaine des véhicules économiques, bien conçus, solidement construits et très attrayants ; mais, pour quelques sombres raisons, aucune de leur technologie de pointe n’a été exportée en Amérique du Nord.
Boire des Martinis à l’heure du lunch n’est plus dans les moeurs, mais cela ne veut pas dire que les dirigeants d’entreprise contemporains sont aussi prévoyants qu’ils devraient l’être.
Cet article est fourni par les Consultants en Gestion de Patrimoine Blue Bridge