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jeudi 22 septembre 2011, par Christine Deslandes
Peter Cundill fut l’un des plus grands gestionnaires « valeur » au Canada. Ce succès, il le doit à sa propre approche d’investissement qu’il a développée en s’inspirant de Benjamin Graham. Dans « There’s Always Something to Do », l’auteur, Christopher Risso-Gill, dresse le parcours de sa brillante carrière.
Q. Dans votre livre, on découvre un Peter Cundill toujours à la recherche de titres bon marché. À un certain moment, en examinant son portefeuille, il remarque que les cours représentent en moyenne 64 % de la valeur aux livres. Doit-on conclure qu’il achetait soit au creux du marché, soit des titres impopulaires ?
R. Peter faisait toujours une analyse en profondeur du bilan afin d’assurer qu’il existait une marge de sécurité entre le cours de l’action en Bourse et la valeur liquidative de la compagnie. Pour y arriver, il devait en effet acheter des titres qui étaient laissés pour compte par les autres investisseurs.
Peter avait aussi l’habitude de dire que les mauvais marchés sont un de ses terrains de chasse de prédilection. Il comprenait mieux que quiconque que, quand les choses se corsent, les bébés sont jetés avec l’eau du bain. En d’autres mots, lorsque les investisseurs paniquent, ils ne font plus de distinction entre « pacotille » et « qualité ».
Q. À cause de ses critères de sélection sévères (ex. cours du titre inférieur à la valeur aux livres, multiple cours/bénéfice inférieur à 10), Peter Cundill avait souvent beaucoup de liquidités dans son portefeuille. Une situation qui ne le dérangeait pas puisque les titres du marché monétaire sont stables et procurent du rendement…
R. Oui, Peter détenait toujours beaucoup de liquidités. Et certaines de ses meilleures performances annuelles ont été réalisées avec 30 % ou plus d’argent liquide.
Mais le style « valeur » est tel qu’un investisseur détiendra toujours plus de liquidités à la fin d’un cycle haussier et moins de liquidités à la fin d’un marché baissier. En raison de la discipline que Peter s’imposait, il y avait nécessairement de moins en moins d’actions qui rencontraient ses critères d’achat au fur et à mesure que le marché haussier avançait, tandis que de plus en plus d’actions en portefeuille atteignaient un prix qui le poussait à vendre. Et quand, à la fin du cycle, le marché se mettait à chuter et que les investisseurs vendaient en panique, il pouvait utiliser cet argent liquide pour acheter des titres bon marché.
Q. Peter Cundill était si discipliné qu’il s’est même fixé une cible de vente. Pouvez-vous expliquer son approche ?
R. Un des problèmes des investisseurs « valeur », c’est qu’ils ont tendance à vendre trop rapidement. Car, lorsque le marché s’entiche tout à coup d’une compagnie, qui devient « à la mode », les valorisations peuvent augmenter à des niveaux absolument irréalistes – bien au-delà de ce qu’un investisseur « valeur » trouverait raisonnable.
Peter a trouvé une solution qui est loin d’être parfaite. Peu de temps après avoir lancé le Fonds valeur Cundill, il a décidé avec son équipe de vendre automatiquement la moitié d’une position après que le prix d’achat ait doublé et de décider par la suite du meilleur moment pour vendre le reste, selon son évaluation du marché. L’avantage de cette technique, c’est qu’en vendant la moitié de la position au double du prix payé, les actions qui restent en portefeuille ont un coût nul. Pour Peter, c’était une façon de réduire la tension et de pouvoir décider librement quand vendre le reste de la position.
Q. Peter Cundill disait qu’un investisseur ne devrait jamais investir en se basant sur l’intuition. Par contre, il aimait rencontrer les dirigeants et visiter les compagnies. Diriez-vous qu’il utilisait parfois son intuition à travers ses décisions ?
R. En fait, Peter voyait l’intuition comme un facteur pouvant mener au succès, en autant qu’elle soit encadrée par une approche ou une discipline d’investissement. Mais il était également convaincu qu’une bonne intuition découle seulement de l’expérience.
Ce en quoi il ne croyait certes pas, c’est que l’intuition pure puisse substituer l’analyse fondamentale, qu’il s’est toujours assuré de faire. Mais il est vrai que son intuition lui a très souvent permis d’éviter des ennuis.
Q. Peter Cundill croit qu’un investisseur ne devrait jamais s’attarder à la conjoncture économique. S’il se borne à acheter une compagnie qui contient de la valeur, il fera automatiquement de l’argent avec le temps.
R. Peter a toujours vu l’économie comme une science très inexacte. En fait, il doutait même que ce soit une science. Dans son esprit, la probabilité que des prévisions économiques soient plus précises que les attentes de marché est marginale, et il ne consultait donc aucun de ces deux outils peu fiables. Si les données financières étaient suffisamment convaincantes et que les dirigeants étaient honnêtes et compétents, il considérait qu’il pouvait investir – indépendamment des tempêtes économiques prédites par les experts. Après tout, son mantra était « patience », « patience » et encore plus de « patience ».
Q. Peter Cundill a été un pionnier à l’international. Comment abordait-il ces marchés ?
R. Peter était un globe-trotter invétéré. Et il a été un des premiers gestionnaires a intégré les marchés étrangers à son approche. Mais avant de se lancer, il a pris le temps de comprendre les différences comptables, de même que la qualité de l’information transmise au public. Par exemple, en Allemagne et en France, la façon dont l’immobilier est présenté dans le bilan, ou au Japon, l’effet des participations croisées ; ces éléments pouvaient influencer grandement la valorisation d’une compagnie, et, grâce à ses habilités comptables exceptionnelles, Peter était capable d’en tirer profit. Il tenait aussi compte de la spécificité des marchés, n’appliquant pas la même marge de sécurité à ses placements en Europe qu’à ceux au Canada ou aux États-unis.
Q. En 2004, les problèmes de santé de Peter Cundill a poussé la société de fonds Mackenzie à acheter Cundill Investment Research. Peter et son équipe sont ainsi devenus les employés de Mackenzie. Mais en 2009, Peter est forcé de quitter, laissant les rênes à Andy Massie. Mais Massie l’appelait régulièrement pour discuter de placement. Donc, Peter continuait de suivre les marchés ?
R. Peter a été forcé de prendre sa retraite à cause d’un désordre neurologique rare, appelé syndrome de l’X fragile. Malgré tout, il a continué à suivre de près les marchés jusqu’à la mi-janvier 2011. Il lisait The Wall Street Journal, The Financial Times, The Times, The Herald Tribune, The Economist, The Spectator, The Financial Post, et un tas de rapports publiés par des fonds valeur. Ce serait toutefois une erreur de croire que Peter contrôlait les décisions de son ancienne équipe, à Vancouver, ou lui présentait des idées d’investissement. Mais il est vrai que ses collègues continuaient à lui demander son avis.
Q. En vous inspirant de la personnalité de Peter Cundill et de ses pensées, écrites dans son journal intime, vous avez dressé le portrait-robot d’un investisseur de talent. Vous dites qu’il doit avoir une curiosité insatiable, de la patience, de la concentration, une attention particulière pour les détails, une sensibilité au risque, une indépendance d’esprit, de l’humilité, une certaine routine, un esprit sain dans un corps sain, du scepticisme et le sens des responsabilités. Grâce à vous, les investisseurs ont maintenant un modèle pour se comparer. Mais, curieusement, vous ne mentionnez pas la passion. Pourtant, Peter Cundill était un être passionné.
R. Vous avez raison. Peter était passionné dans tout ce qu’il faisait et, en particulier, dans l’investissement. Comme il le disait lui-même « mon travail, c’est un jeu ». C’est pourquoi il était au comble du bonheur lorsqu’il mangeait un de ses plats favoris, seul, dans une chambre d’hôtel, un dimanche soir, tout en analysant des bilans. Et lorsqu’il détectait la même étincelle chez d’autres personnes, il acceptait d’en faire des disciples de son approche et à être leur mentor peu importe leur degré de qualification.
Q. Peter Cundill est décédé le 24 janvier 2011, à l’âge de 72 ans. Comment aimeriez-vous qu’on se rappelle de lui ?
R. Comme d’un contrarian intrépide, capable de se tenir debout, seul, pour braver la marée d’opinions communément admises, du simple fait qu’il avait analysé lui-même la chose et avait trouvé qu’une marge de sécurité suffisante existait. Ce qui lui donnait la confiance nécessaire pour se comporter ainsi, c’est son travail acharné…